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grand plaisir à tourmenter les gens ! Je t’assure même que tout cela nuit sérieusement à ma guérison, en m’entretenant dans une irritation continuelle. Tu as vu que tantôt Zosimoff est parti pour ne pas m’irriter, laisse-moi donc aussi, pour l’amour de Dieu !

Razoumikhine resta un moment pensif, puis il lâcha le bras de son ami.

— Eh bien, va-t’en au diable ! dit-il d’une voix qui avait perdu toute véhémence.

Mais, au premier pas que fit Raskolnikoff, il reprit avec un emportement soudain :

— Arrête ! Écoute-moi ! Tu sais que je pends ma crémaillère aujourd’hui ; mes invités sont peut-être déjà arrivés, mais j’ai laissé là mon oncle pour les recevoir en mon absence. Ainsi, voilà, si tu n’étais pas un imbécile, un plat imbécile, un fieffé imbécile… vois-tu, Rodia, je reconnais que tu ne manques pas d’intelligence, mais tu es un imbécile ! — Ainsi voilà, si tu n’étais pas imbécile, tu viendrais passer la soirée chez moi au lieu d’user tes bottes à vaguer sans but dans les rues. Puisque tu as tant fait que de sortir, autant vaut te rendre à mon invitation ! Je te ferai monter un fauteuil moelleux, mes logeurs en ont… Tu prendras une tasse de thé, tu te trouveras en compagnie… Si tu ne veux pas d’un fauteuil, tu pourras t’étendre sur une couchette, au moins tu seras avec nous… Et j’aurai Zosimoff. Tu viendras ?

— Non.

— C’est absurde de dire cela ! répliqua avec vivacité Razoumikhine : — qu’en sais-tu ? Tu ne peux pas répondre de toi… Moi aussi j’ai mille fois craché sur la société, et après l’avoir quittée, je n’ai rien eu de plus pressé que de revenir à elle… On a honte de sa misanthropie et l’on retourne parmi les hommes. Ainsi, n’oublie pas : maison Potchinkoff, troisième étage…

— Je n’irai pas, Razoumikhine ! — Sur ces mots, Raskolnikoff s’éloigna.