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potager, par exemple. Je me serais assuré, au préalable, que, dans un coin de cette cour, contre une clôture, se trouvait une pierre du poids de quarante ou soixante livres. Je soulèverais cette pierre sous laquelle le sol doit être déprimé, et dans ce creux je déposerais l’argent et les bijoux. Après quoi je remettrais la pierre à sa place, je tasserais de la terre contre les bords et je m’en irais. Pendant un an, pendant deux ans, pendant trois ans, je laisserais là les objets volés — eh bien, cherchez maintenant !

— Vous êtes fou, répondit Zamétoff. Sans que nous puissions dire pourquoi, il avait aussi prononcé ces mots à voix basse, et il s’écarta brusquement de Raskolnikoff. Les yeux de celui-ci étincelaient, son visage était affreusement pâle, un tremblement convulsif agitait sa lèvre supérieure. Il se pencha le plus possible vers le policier et se mit à remuer les lèvres sans proférer aucune parole. Ainsi se passa une demi-minute. Notre héros savait ce qu’il faisait, mais il ne pouvait se contenir. L’épouvantable aveu était sur le point de lui échapper !

— Et si j’étais l’assassin de la vieille et d’Élisabeth ? dit-il tout à coup, puis le sentiment du danger lui revint.

Zamétoff le regarda d’un air étrange et devint pâle comme la nappe. Son visage grimaça un sourire.

— Mais est-ce que c’est possible ? fit-il d’une voix qui put à peine être entendue.

Raskolnikoff fixa sur lui un regard méchant.

— Avouez que vous l’avez cru. — Oui ? n’est-ce pas que vous l’avez cru ?

— Pas du tout ! Je le crois maintenant moins que jamais ! se hâta de protester Zamétoff.

— Enfin, ça y est ! vous êtes pris, mon gaillard ! Ainsi vous l’avez cru auparavant, puisque maintenant « vous le croyez moins que jamais » ?

— Mais pas du tout ! s’écria le chef de la chancellerie