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avaient des robes d’indienne, des chaussures en peau de bouc, et étaient nu-tête. Plusieurs avaient dépassé la quarantaine, mais d’autres n’accusaient pas plus de dix-sept ans ; presque toutes avaient les yeux pochés.

Le chant et tout le bruit qui montait du sous-sol captivèrent l’attention de Raskolnikoff. Au milieu des éclats de rire et des clameurs joyeuses, une aigre voix de fausset se mariait aux sons d’une guitare, tandis que quelqu’un dansait furieusement en battant la mesure avec ses talons. Le jeune homme penché à l’entrée de l’escalier écoutait sombre et rêveur.


Mon beau et robuste petit homme,
Ne me bats pas sans raison !


faisait entendre l’aigre fausset du chanteur. Raskolnikoff aurait bien voulu ne pas perdre un mot de cette chanson, comme si la chose eût été pour lui de la plus haute importance.

« Si j’entrais ? » pensait-il. « Ils rient, ils sont ivres. Eh bien, si je m’enivrais ? »

— Vous n’entrez pas, cher barine ? demanda une des femmes d’une voix assez bien timbrée et conservant encore quelque fraîcheur. La personne était jeune, et, seule de tout le groupe, elle n’était pas repoussante.

— Oh ! la jolie fille ! répondit-il en relevant la tête et en la regardant.

Elle sourit ; le compliment lui avait fait plaisir.

— Vous êtes très-joli aussi, dit-elle.

— Joli, un décati pareil ! observa d’une voix de basse une autre femme : — pour sûr, il sort de l’hôpital !

Brusquement s’approcha un moujik en goguettes, au sarrau déboutonné, au visage rayonnant d’une gaieté narquoise.

— Paraît que ce sont des filles de généraux, et cela ne les empêche pas d’avoir le nez camus ! fit-il. — Oh ! quel charme !