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ment Raskolnikoff à un passant, déjà d’un certain âge, qui avait écouté à côté de lui les musiciens ambulants, et qui avait l’air d’un flâneur. L’interpellé regarda avec surprise celui qui lui faisait cette question. — Moi, poursuivit Raskolnikoff, mais à le voir on eût cru qu’il parlait de toute autre chose que de la musique des rues, — j’aime à entendre chanter au son de l’orgue par une froide, sombre, et humide soirée d’automne, surtout quand il fait humide, lorsque tous les passants ont des figures verdâtres et maladives ; ou, mieux encore, quand la neige tombe en ligne droite, sans être chassée par le vent, vous savez ? et que les réverbères brillent à travers la neige…

— Je ne sais pas… Excusez-moi… balbutia le monsieur, effrayé, et de la question, et de l’air étrange de Raskolnikoff ; puis il passa de l’autre côté de la rue.

Le jeune homme continua sa marche et arriva au coin du Marché-au-Foin, à l’endroit où l’autre jour un bourgeois et sa femme causaient avec Élisabeth ; mais ils n’étaient plus là. Reconnaissant le lieu, il s’arrêta, regarda autour de lui et s’adressa à un jeune gars en chemise rouge, qui bâillait à l’entrée d’un magasin de farine.

— Il y a un bourgeois qui vend dans ce coin-là avec sa femme, n’est-ce pas ?

— Tout le monde vend, répondit le gars en toisant avec dédain Raskolnikoff.

— Comment l’appelle-t-on ?

— On l’appelle par son nom.

— Mais toi, n’es-tu pas de Zaraïsk ? De quelle province es-tu ?

Le gars jeta de nouveau les yeux sur son interlocuteur.

— Altesse, nous ne sommes pas d’une province, mais d’un district ; mon frère est parti, et moi, je suis resté à la maison, en sorte que je ne sais rien… Que Votre Altesse me pardonne généreusement.