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répondit d’un ton indifférent le docteur, et il bâilla de nouveau.

— Oh ! il a recouvré l’usage de ses facultés depuis longtemps déjà, depuis ce matin ! ajouta Razoumikhine dont la familiarité respirait une bonhomie si franche que Pierre Pétrovitch commença à se sentir plus à l’aise. Et puis, après tout, cet homme incivile et mal vêtu se recommandait de la qualité d’étudiant.

— Votre maman…

— Hum ! fit bruyamment Razoumikhine.

Loujine le regarda d’un air surpris.

— Rien, c’est un tic ; continuez…

Loujine haussa les épaules.

— … Votre maman avait commencé une lettre pour vous déjà avant mon départ. Arrivé ici, j’ai exprès différé ma visite de quelques jours pour être bien sûr que vous seriez instruit de tout. Mais, maintenant, je vois avec étonnement…

— Je sais, je sais ! répliqua brusquement Raskolnikoff, dont le visage exprima une violente irritation. — C’est vous qui êtes le futur ? Eh bien, je le sais, en voilà assez !

Ce langage blessa décidément Pierre Pétrovitch, mais il garda le silence, se demandant ce que tout cela signifiait. La conversation fut momentanément interrompue. Cependant Raskolnikoff, qui, pour lui répondre, s’était légèrement tourné de son côté, se remit soudain à l’examiner avec une attention marquée, comme s’il n’avait pas eu le temps de le bien voir tantôt, ou que quelque chose de nouveau l’eût frappé dans la personne du visiteur. Il se souleva donc sur le divan pour le considérer plus à son aise. Le fait est que tout l’extérieur de Pierre Pétrovitch offrait un je ne sais quoi de particulier qui semblait justifier l’appellation de « futur » si cavalièrement appliquée tout à l’heure à ce personnage.