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LE CRIME ET LE CHÂTIMENT.

— Je viens de te dire que j’attendais ton réveil depuis trois heures.

— Non, mais avant ?

— Comment, avant ?

— Depuis quand viens-tu ici ?

— Mais, voyons, je te l’ai dit tantôt : est-ce que tu ne t’en souviens plus ?

Raskolnikoff fit appel à ses souvenirs. Les incidents de la journée lui apparaissaient comme dans un songe. Ses efforts de mémoire restant infructueux, il interrogea du regard Razoumikhine.

— Hum ! fit celui-ci : tu l’as oublié. J’avais déjà remarqué tantôt que tu n’étais pas encore dans ton assiette… À présent, le sommeil t’a fait du bien… Vraiment, tu as beaucoup meilleure mine. Allons, qu’importe ? Cela va te revenir tout à l’heure. Regarde donc par ici, cher homme.

Il se mit à défaire le paquet qui, évidemment, était l’objet de toutes ses préoccupations.

— Cela, mon ami, me tenait particulièrement au cœur. C’est qu’il faut faire de toi un homme. Nous allons nous y mettre. Commençons par le haut. Vois-tu cette casquette ? dit-il en prenant dans le paquet une casquette assez jolie, quoique fort ordinaire et de peu de valeur. Veux-tu me permettre de te l’essayer ?

— Pas maintenant, plus tard, fit Raskolnikoff en repoussant son ami avec un geste d’impatience.

— Non, tout de suite, ami Rodia, laisse-toi faire, plus tard il serait trop tard ; d’ailleurs l’inquiétude me tiendrait éveillé toute la nuit, car j’ai acheté au jugé, n’ayant pas la mesure de ta tête. Elle va parfaitement ! s’écria-t-il triomphant, après avoir essayé la casquette à Raskolnikoff : — c’est tout à fait cela, on jurerait qu’elle a été faite sur commande ! Devine un peu ce que je l’ai payée, Nastasiouchka, dit-il à la servante en voyant que son ami gardait le silence.