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Le visiteur continuait à descendre en silence.

— Eh ! dis donc ! Où demeures-tu ?

Cette question n’obtint pas de réponse.

— Eh bien ! va-t’en au diable !

Mais Raskolnikoff était déjà dans la rue.

Le jeune homme arriva chez lui vers le soir, sans qu’il eût pu dire par où il était revenu. Tremblant de tout son corps comme un cheval harassé, il se déshabilla, s’étendit sur le divan et, après avoir placé son manteau sur lui, s’endormit tout de suite…

L’obscurité était déjà complète, lorsqu’il fut réveillé par un bruit terrible. Quelle scène affreuse se passait, mon Dieu ! C’étaient des cris, des gémissements, des grincements de dents, des larmes, des coups, des injures, comme il n’en avait jamais entendu ni vu. Épouvanté, il s’assit sur son lit ; sa frayeur croissait de minute en minute, car à chaque instant le retentissement des coups frappés, les plaintes, les invectives arrivaient plus nettement à ses oreilles. Et voilà que, à son extrême surprise, il reconnaissait tout à coup la voix de sa logeuse.

La pauvre femme geignait, suppliait d’un ton dolent. Impossible de comprendre ce qu’elle disait, mais sans doute elle demandait qu’on cessât de la battre, car on la battait impitoyablement dans l’escalier. Le brutal qui la maltraitait ainsi vociférait d’une voix sifflante, étranglée par la colère, de sorte que ses paroles étaient, elles aussi, inintelligibles. Soudain Raskolnikoff se mit à trembler comme une feuille : il venait de reconnaître cette voix ; c’était celle d’Ilia Pétrovitch. « Ilia Pétrovitch est ici, et il bat la logeuse ! Il lui donne des coups de pied, il lui cogne la tête contre les marches, — c’est clair, je ne me trompe pas, le bruit des coups, les cris de la victime indiquent bien de quelles voies de fait il s’agit ! Qu’est-ce que c’est que cela ? Le monde est-il sens dessus dessous ? »