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déchirée bâillait plus fort que jamais. Soudain, la frayeur agita tous ses membres : — « Mon Dieu ! murmura-t-il avec désespoir, — qu’est-ce que j’ai ? Est-ce que cela est caché ? Est-ce ainsi qu’on cache quelque chose ? »

À la vérité, ce butin n’était pas celui qu’il avait espéré, il ne comptait s’approprier que l’argent de la vieille ; aussi la nécessité de cacher ces bijoux le prenait-elle au dépourvu.

« Mais maintenant, maintenant ai-je lieu de me réjouir ? pensait-il. Est-ce ainsi qu’on cache quelque chose ? Vraiment, la raison m’abandonne ! »

Épuisé, il s’assit sur le divan, et aussitôt un violent frisson secoua de nouveau tous ses membres. Machinalement il tira à lui un vieux paletot d’hiver, tout en loques, qui se trouvait sur une chaise, et il s’en couvrit. Un sommeil mêlé de délire le saisit incontinent. Il perdit conscience de lui-même.

Cinq minutes après, il s’éveillait encore en sursaut, et son premier mouvement était de se pencher avec angoisse sur ses vêtements. « Comment ai-je pu me rendormir alors que rien n’est fait ! Car je n’ai rien fait, le nœud coulant est toujours à la place où je l’ai cousu ! Je n’avais pas pensé à cela ! Une pareille pièce de conviction ! » Il arracha la chevilière et la réduisit aussitôt en petits morceaux qu’il fourra sous l’oreiller avec son linge. — « Ces chiffons de toile ne peuvent en aucun cas éveiller des soupçons, à ce qu’il me semble, du moins, à ce qu’il me semble », répétait-il debout au milieu de la chambre, et, avec une attention que l’effort rendait douloureuse, il regardait tout autour de lui, cherchant à s’assurer qu’il n’avait plus rien oublié.

Il souffrait cruellement de cette conviction que tout, même la mémoire, même la plus élémentaire prudence l’abandonnait.

« Quoi ! est-ce que déjà le châtiment commencerait ? Voilà ! voilà ! en effet ! »