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d’énergie, son irrésolution, néanmoins il s’était peu à peu, malgré lui en quelque sorte, habitué à regarder comme possible la réalisation de son rêve, tout en continuant à douter de lui-même. En ce moment, il venait faire la répétition de son entreprise, et, à chaque pas, son agitation allait croissant.

Le cœur défaillant, les membres secoués par un tremblement nerveux, il s’approcha d’une immense maison qui donnait d’un côté sur le canal, de l’autre sur la rue… Cet immeuble, divisé en une foule de petits logements, avait pour locataires des industriels de toutes sortes : tailleurs, serruriers, cuisinières, Allemands de diverses catégories, filles publiques, petits fonctionnaires, etc. Une fourmilière de gens entraient et sortaient par les deux portes. Trois ou quatre dvorniks étaient attachés au service de cette maison. À sa grande satisfaction, le jeune homme n’en rencontra aucun ; après avoir franchi le seuil sans être aperçu, il prit immédiatement l’escalier de droite.

Il connaissait déjà cet escalier sombre et étroit dont l’obscurité était loin de lui déplaire : il y faisait si noir qu’on n’avait pas à craindre les regards curieux. « Si j’ai déjà si peur maintenant, que sera-ce quand je viendrai ici pour de bon ? » ne put-il s’empêcher de penser en arrivant au quatrième étage. Là, le chemin lui fut barré : d’anciens soldats devenus hommes de peine déménageaient le mobilier d’un logement occupé — le jeune homme le savait — par un fonctionnaire allemand et sa famille. « Grâce au départ de cet Allemand, il n’y aura plus pendant quelque temps sur ce palier d’autre locataire que la vieille. Cela est bon à savoir… à tout hasard… » pensa-t-il, et il sonna chez la vieille. La sonnette retentit faiblement, comme si elle avait été en fer-blanc et non en cuivre. Dans ces maisons, telles sont généralement les sonnettes des petits appartements.

Il avait oublié ce détail ; le tintement particulier de la