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contenance prendre, il appela Sachenka pour me la présenter, mais elle se contenta de se lever et de me faire une grave révérence. Ce geste me charma parce qu’il lui seyait. Ma bonne tante n’y tint plus et, cessant pour un instant de verser le thé, elle accourut m’embrasser. Mais nous n’avions pas échangé deux mots que s’éleva la voix de la demoiselle Pérépélitzina remarquant que « Prascovia Ilinitchna avait dû oublier sa mère (la générale) qui avait demandé du thé, mais l’attendait encore ». Ma tante me quitta aussitôt et s’empressa d’aller vaquer à ses devoirs.

La générale, reine de ce lieu et devant qui tout le monde filait doux, était une maigre et méchante vieille en deuil, méchante surtout par la faute de l’âge qui lui avait ravi le peu qu’elle eût jamais possédé de capacités mentales (plus jeune, elle se contentait d’être toquée). Sa situation l’avait rendue plus bête encore qu’avant et plus orgueilleuse. Lors de ses colères, la maison devenait un enfer.

Ses colères affectaient deux modes distincts. Le premier était silencieux : la vieille ne desserrait pas les dents pendant des journées entières, repoussant ou jetant même à terre tout ce que l’on posait devant elle. Le second était loquace et procédait comme suit. Ma grand-mère (elle était ma