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café, Foma pérorait, fortement stimulé par la boisson. Il n’avait autour de lui qu’Éjévikine, Bakhtchéiev et Mizintchikov. Je m’arrêtai pour écouter.

— Pourquoi, criait Foma, pourquoi suis-je prêt à aller sur le bûcher pour mes opinions ? Et pourquoi personne de vous n’est-il capable d’en faire autant ? Pourquoi ? Pourquoi ?

— Mais il serait fort inutile de monter sur le bûcher, Foma Fomitch, raillait Éjévikine. Quelle utilité ? D’abord, ça fait souffrir, et puis on serait brûlé ; que resterait-il ?

— Ce qu’il resterait ? Des cendres sacrées ! Mais, comment peux-tu me comprendre ? Comment peux-tu m’apprécier ? Pour vous, il n’est pas de grands hommes hors certains Césars et autres Alexandres de Macédoine. Qu’ont-ils fait, tes Césars ? Qui ont-ils rendu heureux ? Qu’a-t-il fait, ton fameux Alexandre de Macédoine ! Il a conquis toute la terre ? Bon ! donne-moi une armée comme la sienne et j’en ferai autant, et toi aussi, et lui aussi… Mais il a assassiné le vertueux Clitus, tandis que moi, je ne l’ai pas assassiné… Quel voyou ! quelle canaille ! Il n’a guère mérité que les verges et non la gloire que dispense l’histoire universelle… Je n’en dirai pas moins de César !