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Bakhtchéiev, qui se tenait à l’écart, absorbé dans ses pensées, releva vivement la tête en rougissant et s’agita sur son fauteuil.

— Foma, laisse-moi tranquille ! dit-il en fixant sur son interlocuteur le regard méchant de ses petits yeux injectés de sang. Qu’ai-je à faire de la littérature ? Que Dieu me donne la santé ! — conclut-il en grommelant — et que tous ces écrivains… des voltairiens, et rien de plus !

— Les écrivains ne sont que des voltairiens ? fit Éjévikine s’approchant aussitôt de M. Bakhtchéiev. Vous dites là une grande vérité. L’autre jour, Valentine Ignatich disait la même chose. Il m’avait aussi qualifié de voltairien ; je vous le jure. Et pourtant, j’ai si peu écrit ! tout le monde le sait… C’est vous dire que, si un pot de lait tourne, c’est la faute à Voltaire ! Il en est toujours ainsi chez nous.

— Mais non ! riposta gravement mon oncle, c’est une erreur ! Voltaire était un écrivain qui raillait les superstitions d’une façon fort mordante ; mais il ne fut jamais voltairien ! Ce sont ses ennemis qui l’ont calomnié. Pourquoi vouloir tout faire retomber sur ce malheureux ?

Le méchant ricanement de Foma se fit de nouveau entendre. Mon oncle lui jeta un regard inquiet et se troubla visiblement.