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malade, malgré les pires humiliations ; cela vaut une récompense !… Et puis l’instruction !… Un écrivain ! un homme très instruit et d’une très grande noblesse…

La seule image de ce Foma instruit et malheureux en butte aux caprices d’un malade hargneux, lui gonflait le cœur d’indignation et de pitié. Toutes les étrangetés de Foma, toutes ses méchancetés, mon oncle les attribuait aux souffrances passées, aux humiliations subies, qui n’avaient pu que l’aigrir. Et, dans son âme noble et tendre, il avait décidé qu’on ne pouvait être aussi exigeant à l’égard d’un martyr qu’à celui d’un homme ordinaire, qu’il fallait non seulement lui pardonner, mais encore panser ses plaies avec douceur, le réconforter, le réconcilier avec l’humanité. S’étant assigné ce but, il s’enthousiasma jusqu’à l’impossible, jusqu’à s’aveugler complètement sur la vulgarité de son nouvel ami, sur sa gourmandise, sur sa paresse, sur son égoïsme, sur sa nullité. Mon oncle avait une foi absolue dans l’instruction, dans le génie de Foma. Ah ! mais j’oublie de dire que le colonel tombait en extase aux mots « littérature » et « science », quoiqu’il n’eût lui-même jamais rien appris.

C’était une de ses innocentes particularités.