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que le devoir le poussât ! Sans cela, je ne sais s’il eût jamais pu s’éveiller. Mais il était l’esclave du devoir. Cependant, je ne voyais pas comment l’affaire pourrait bien s’arranger. Je savais, je croyais aveuglément que mon oncle ne faillirait jamais à ce qu’il aurait reconnu être son devoir, mais je me demandais où il prendrait la force de lutter contre sa famille. Aussi m’efforçais-je de le pousser le plus possible, et je travaillais à le diriger de toute ma juvénile ardeur.

— D’autant plus… d’autant plus, disais-je, que, maintenant, tout est décidé, et que vos derniers doutes sont dissipés. Ce que vous n’attendiez pas s’est produit, mais tout le monde avait remarqué depuis longtemps que Nastassia vous aime. Permettriez-vous donc que cet amour si pur devînt pour elle une source de honte et de déshonneur ?

— Jamais ! Mais, mon ami, un pareil bonheur m’est-il donc réservé ? cria-t-il en se jetant à mon cou. Pourquoi m’aime-t-elle, pour quel motif ? Cependant, il n’y a en moi rien qui… Je suis vieux en comparaison d’elle… Je ne pouvais m’attendre… Cher ange ! cher ange !… Écoute, Serge, tu me demandais tout à l’heure, si j’étais amoureux d’elle. Est-ce que tu avais quelque arrière-pensée ?