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s’implanter après tant de pérégrinations ! Mais il me faut ici développer le caractère de mon oncle ; le succès de Foma serait incompréhensible sans cela, autant que la maîtrise qu’il exerçait dans la maison et que sa métamorphose en grand homme.

Mon oncle n’était pas seulement bon, mais encore d’une extrême délicatesse sous son écorce un peu grossière, et d’un courage à toute épreuve. J’ose employer ce terme de courage, car aucun devoir, aucune obligation ne l’eussent arrêté ; il ne connaissait pas d’obstacles. Son âme noble était pure comme celle d’un enfant. Oui, à quarante ans, c’était un enfant expansif et gai, prenant les hommes pour des anges, s’accusant de défauts qu’il n’avait pas, exagérant les qualités des autres, en découvrant même où il n’y en avait jamais eu. Il était de ces grands cœurs qui ne sauraient sans honte supposer le mal chez les autres, qui parent le prochain de toutes les vertus, qui se réjouissent de ses succès, qui vivent sans relâche dans un monde idéal, qui prennent sur eux toutes leurs fautes. Leur vocation est de sacrifier aux intérêts d’autrui. On l’eût pris pour un être veule et faible de caractère et sans doute, il était trop faible ; cependant, ce n’était pas manque d’énergie, mais crainte d’humilier, crainte de faire souffrir ses semblables qu’il aimait tous.