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popularité facile ? Mais surtout, il avait passé l’heure où on se bat ; il était las des paroles de haine. Les marques de déférence que tous lui prodiguaient, le poids des ans, le charme des ardentes admirations qui s’épanouissaient sur sa route, ramenaient insensiblement le poète vers cette voie de tendresse où il avait marché dans ses premières années. Il commençait à se préoccuper, peut-être à souffrir, du jugement des esprits superficiels et malveillants qui, incapables de pénétrer sa pensée profonde, l’accusaient d’impiété générale et d’irrespect systématique. Il suffit pourtant d’avoir un peu fréquenté ses livres pour démêler que le culte de la beauté grecque ne fut pour lui qu’un repos, une oasis où le voyageur refait ses forces, mais que le chemin où il peina toute sa vie fut justement celui de la conscience morale et de ses tortures. Le Christ, auquel il songea dans tant de pièces, lui apparaissait comme une victime dont le supplice ne finit pas. Il a pleuré sur son gibet, sur ses blessures, sur son sang, mais surtout sur cette trahison qui, selon lui, avait défiguré sa doctrine, sur ce mensonge de charité qui abritait toutes les vanités, toutes les cruautés des « siècles maudits » :

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Et l’Homme, en un beau lieu d’ineffables délices,
Vit de rares Élus penchés sur ces supplices,
Le front illuminé de leurs nimbes bénis,
Qui contemplaient d’en haut ses tourments infinis,
Jouissant d’autant plus de leur bonheur sublime,
Que plus d’horreur mentait de l’exécrable abîme !
Et l’Homme s’éveilla de son rêve, — muet,