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tranquillement de traduire Homère. » Ainsi, toujours, à travers tout, sa vocation de poète persistait et grandissait. Il écrivait alors avec la facilité exubérante de la jeunesse, mais déjà la critique qu’il exerçait sur lui-même l’avait rendu malaisé à satisfaire. Du voilier qui l’avait ramené de Bourbon, il avait jeté à la mer mille vers. La pièce d’Hypatie fut seule exceptée de ce sacrifice, et nous fait encore aujourd’hui regretter ses sœurs perdues.

Cependant Leconte de Lisle était entré dans quelques cercles littéraires. Victor de Laprade le présenta chez Sainte-Beuve. Lui-même racontait ainsi son début dans le monde des lettres :

« Chez Sainte-Beuve, le soir de ma présentation, je rencontrai Émile Deschamps qui n’avait jamais entendu parler de moi, par l’excellente raison que j’arrivais à Paris parfaitement inconnu, n’ayant jamais rien publié dans aucun recueil. Or, quand j’entrai, Deschamps se précipita vers moi et me dit : « Permettez-moi de serrer cette main qui a écrit de si belles choses ! » Il en disait autant à tout le monde : c’était un homme très sociable ! »

Leconte de Lisle n’en eut pas moins, le même soir, la première sensation délicieuse de la gloire. Comme tous les jeunes auteurs débitaient de leurs vers, et qu’on demandait à Leconte de Lisle de dire quelques-uns des siens, il récita Midi. Ce poème impressionna si vivement Sainte-Beuve, que, les yeux pleins de larmes, il se jeta au cou du jeune homme en s’écriant :