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des bruits de la nature. Lui fuyait pour ne pas entendre ; son cœur révolté se fermait à l’amour de ces belles insensibles, en même temps qu’il s’ouvrait à l’angoisse des souffrances humaines, à l’horreur de l’universelle injustice, à la pitié infinie ; et il songeait qu’un abîme était creusé pour toujours entre lui et ces jeunes femmes si désirables, qui n’avaient pas pitié de la douleur. Alors il courait se réfugier dans la solitude, se calmer dans l’engourdissement du soleil ; pendant des heures, il restait sur le sable, étendu, immobile, les yeux clos, écoutant les bruits de la nature, s’incorporant si bien avec elle qu’il avait la sensation de mêler son âme à l’âme universelle. Il lui semblait que son corps s’évaporait, que son esprit se fondait dans ce tout, pour chanter avec la mer, bruire avec le vent, fleurir avec les fleurs :

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Ô monts du ciel natal, parfum des vertes cimes,
Noirs feuillages emplis d’un vague et long soupir,
Et vous, mondes brûlant dans vos steppes sublimes,
Et vous, flots qui chantiez, près de vous assoupir !

Ravissement des sens, vertiges magnétiques
Où l’on roule sans peur, sans pensée et sans voix !
Inertes voluptés des ascètes antiques
Assis les yeux ouverts, cent ans, au fond des bois !

Nature ! Immensité si tranquille et si belle,
Majestueux abime où dort l’oubli sacré,
Que ne me plongeais-tu dans ta paix immortelle
Quand je n’avais encor ni souffert ni pleuré ?
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