avait besoin pour méditer. Les hommages de son cénacle parnassien lui donnaient l’occasion de toucher, d’une façon vivante, la montée de sa gloire. Il avait une Revue à sa dévotion pour y publier ses poèmes[1]. Sur les théâtres, où Agar disait ses vers, plus d’une fois, le succès était monté à l’enthousiasme. Et pourtant, le poète avait choisi cette minute pour évoquer la figure terrible d’Ékhidna, la Chimère, aux aguets, sur le seuil de la grotte, qu’elle emplit de sa croupe et de ses désirs, tandis que, cachant ce qui est, en elle, monstrueux, elle charme les hommes par la beauté de sa gorge et les séductions de son visage. Elle les appelle, elle leur promet, si seulement ils la touchent de leurs lèvres, la gloire éternelle.
Leconte de Lisle avait eu une joie amère et presciente à peindre cette dévoratrice, qui attire à soi ceux qui ont fait le Grand Rêve, et entre lesquels les amants de la Beauté et de l’Harmonie, « les Poètes », sont les meilleurs :
« Ils lui criaient : « Je t’aime et je veux être un Dieu ! »
Et tous l’enveloppaient de leurs chaudes haleines.
Mais ceux qu’elle enchaînait de ses bras amoureux,
Nul n’en dira jamais la foule disparue.
Le monstre aux yeux charmants dévorait leur chair crue.[2] »
Lorsque, à travers l’œuvre entière de Leconte de Lisle, on glane, parmi ses lettres de jeunesse, ses premiers vers, sa prose et ses poèmes, pour y relever les cris de confession qui, au cours de sa vie, lui ont échappé, on constate que sa sensibilité, aisément blessée, et, d’autre part, la défiance qu’il avait de soi-même se tournèrent vite en ironie. Dès sa vingtième année, on le voyait admirer Hoffmann : « parce qu’il est un modèle d’ironie étincelante, en réaction contre la sentimentalité lunaire des Allemands ». C’est pour la même