porains l’épouvante du Destin, de la farouche « Moira » adorée par eux comme la divinité suprême qui gouverne les Olympiens, aussi bien que le reste de l’univers. En rapprochant les textes, les poèmes, en suivant, pas à pas, ces lignées de meurtriers, d’abord dans leurs premières suggestions, puis dans leurs angoisses funèbres ; en notant la façon dont l’esprit prévenu de ces hommes se laissait halluciner par la vue des victimes que la Moira poursuivait, et le spectacle des lieux où, avant eux, des aïeux maudits avaient commis les crimes irréparables, Leconte de Lisle acquit la certitude que la « fatalité » dont étaient écrasées les familles de ces prédestinés n’était, sans doute, que cette implacable
rect, un peu raide dans sa redingote, avec des manières courtoises, d’une froideur polie, avec une pointe de méfiance ; le monocle vissé au coin de l’œil gauche. Leconte de Lisle refusa de modifier ses terminaisons grecques. Il concéda la partition musicale, à condition : « que le bruit n’empêchât pas d’entendre les vers ». Il vint rarement, aux repétitions, et plutôt en curieux qu’en auteur. Il était préoccupé de la manière dont seraient dits ses vers ; la partition musicale, l’inquiétait ; il regrettait d’en avoir accepté la condition. La composition de cette partition fut confiée à Massenet ; il se conformerait au désir de l’auteur, en faisant une musique sobre, discrète : ni bois ni cuivre, rien que des instruments à cordes, tout au plus une batterie et trois trombones, pour les apparitions. Grâce à l’intervention d’Édouard Colonne la partition fut vite mise au point. Les répétitions d’ensemble commencèrent, et, avec elles, l’ère des difficultés. Si discrète que fut la musique, elle agaçait le poète, qui ne se gênait pas pour manifester son irritation : il fallait couper. Massenet, se promenait dans les coulisses, désespéré, Duquesnel tenait à la musique. Un jour, Leconte de Lisle quitta brusquement la répétition, en déclarant qu’il ne reviendrait plus. « S’il ne revient pas, s’écria Duquesnel j’ajouterai un ballet à sa tragédie ! Quand Agammemnon arrive victorieux, il célébrera sa victoire, par des chants et des danses, les vainqueurs danseront, et ils feront danser les prisonnières, cela fera deux mouvements tout à fait différents… « Massenet s’était mis au piano. Il esquissa des airs de ballet, joyeux, brillants, donnant l’impression d’un cliquetis d’armes, d’un chant de triomphe. Puis une marche funèbre, enfin une mélopée. Mais Leconte de Lisle revint. On dût renoncer au ballet. Quatre ans plus tard, on reprit les Érinnyes à la Gaieté. Le ballet : Danses Antiques, était celui improvisé par Massenet sur le piano de l’Odéon. »