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LA CONCEPTION PHILOSOPHIQUE

Mais si l’on y regarde de près, il y a, dans cette muraille d’ombre, contre laquelle les espoirs de l’humanité viennent se briser, quelques imperceptibles fissures par lesquelles filtre — on n’oserait dire un rayon — on a le droit d’écrire : le doute du doute. Cela commence, dans une pièce, qui a pour titre : Aux Morts, par une hésitation d’affirmation, un « si » qui, à nouveau, pose tout le problème :


« … Ô lugubre troupeau des morts, je vous envie,
Si, quand l’immense espace est en proie à la vie…
Vous goûtez à jamais, hôtes d’un noir mystère,
L’irrévocable paix inconnue à la terre…[1] »


Il est certain que si le poète a souvent invoqué le Néant, comme un Dieu cher et attendu, perpétuellement il a été traversé, au cours même de ces invocations, par des incertitudes, qui, tantôt prenaient la couleur de la révolte, tantôt les reflets du vieil espoir. L’ascète, qu’il met en scène dans son poème La Ravine de Saint Gilles, aperçoit, dans l’ombre sans bornes où sa pensée s’effondre : « un trait de feu ». Qu’est donc, dans le Néant où il se dissolvait, cet éclair de clarté entrevue qui le ranimer


« ... C’est le reflet perdu des espaces meilleurs,
C’est ton rapide éclair Espérance éternelle
Qui l’éveille en sa tombe et le convie ailleurs.[2] »


Et le poète jette ce sanglot :


« Vertu, douleur, pensée, espérance, remords
Amour qui traversais l’univers d’un coup d’aile,
Qu’êtes-vous devenus ? L’âme, qu’a-t-on fait d’elle ?
Qu’a-t-on fait de l’esprit silencieux des morts ?[3] »


C’est que, pareil à son Ascète, et malgré la conscience

  1. « Aux Morts ». Poèmes Barbares.
  2. « La Ravine Saint Gilles ». Poèmes Barbares.
  3. « La Dernière Vision ». Poèmes Barbares.