de la jungle indienne qui s’assoupit en l’heureuse torpeur de ses perpétuelles créations — a été fasciné par les brouillards et les fantômes de ce monde Scandinave qui aurait dû lui inspirer un frisson d’horreur. Il a aimé le Nord à cause de ses désespérances, à cause du pessimisme qui mûrit, comme un fruit naturel, dans les conceptions de ces enfants de l’ombre ; à cause de cette tristesse belliqueuse et de ces pressentiments sinistres qu’Ampère a notés ; à cause de cette misère matérielle et morale qui faisait dire à Marmier : « … Le ciel Scandinave est pauvre… Les dieux qui l’habitent sont les plus malheureux que je connaisse. Si les mythes indiens se sont développés comme des rameaux de fleurs sous un ciel d’azur, sur une terre riante — les mythes Scandinaves sont restés noirs comme les nuages qui flottent au-dessus de la mer Baltique… »
Sûrement, est-ce dans ce parti pris où était Leconte de Lisle d’écarter de sa pensée les spectacles de joie et les occasions d’espérance, qu’il faut faire remonter la raison qui lui fit écarter de son œuvre, « l’enfant », dont les poèmes de Hugo, sont remplis.
Il serait insuffisant de dire que cet oubli vint du fait accidentel que le poète n’eut, lui-même, ni fils, ni fille ; il ne pouvait ignorer que la tendresse des pères et des mères pour les enfants est le sentiment le plus général et peut-être le plus profond dans lequel l’humanité communie.
Si l’on va s’asseoir à la Bibliothèque du Luxembourg, dans l’angle près de la fenêtre sous le tableau de Delacroix, où le poète réfléchit et rêva pendant un quart de siècle, on constate qu’il lui suffisait de soulever un rideau pour apercevoir, dans l’encadrement des lauriers roses, le bassin sur lequel les enfants font voguer leurs bateaux, tandis que les jeunes mères réchauffent leurs nouveaux-nés au soleil.
À supposer que Leconte de Lisle eut parfois jeté les yeux sur ce spectacle heureux, il n’a pas noté les impressions qu’il en recevait. On dirait que, l’impassible artiste qu’il voulait