Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
250
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

ces brochures, Victor Hugo commence d’écrire, dans ses poèmes, le mot de « Justice » à la place où autrefois il écrivait le mot « Dieu ». Pour l’auteur de La Légende des Siècles, c’est une mode de l’heure : les deux vocables sont équivalents. Il n’en est point de même pour Leconte de Lisle. Dans son Catéchisme la « Justice » exproprie, de l’antique paradis, le « Dieu-Providence ». Elle est l’Ange de Feu qui, de son glaive à deux tranchants, garde l’idéal sanctuaire où trône la République, déifiée en des termes au travers desquels on croit entendre, comme le tremblement de la voix du croyant qui adore :

« … La République est la liberté individuelle et la liberté collective, proclamées et garanties. C’est la nature elle-même, vivante et active, morale, intelligente et perfectible, se connaissant et se possédant, affirmant sa destinée et la réalisant par l’entier développement de ses forces, par le complet excercice de ses facultés et de ses droits, par l’accomplissement total de ses devoirs envers sa propre dignité qui consiste à ne jamais cesser de s’appartenir ; c’est enfin la Vérité et la Justice dans l’Individu et dans l’Humanité… »

Ceux qui auraient une tendance à croire que les hardiesses de Leconte de Lisle auraient été singulièrement facilitées par l’état d’esprit public à la date même de la publication de ces brochures, n’auraient qu’à se reporter au compte-rendu officiel des Séances de l’Assemblée de Versailles. Ils y verront, largement développée, une interpellation de M. de Gavardie, demandant à M. Dufaure, garde des Sceaux, Ministre de la Justice, des poursuites contre le Catéchisme populaire Républicain, qu’il a trouvé, dit-il, « exposé publiquement en vente, dans une des rues les plus fréquentée de Versailles. » M. de Gavardie, soutenu par une partie de la Droite, donne lecture d’importants fragments de cette brochure. Il affirme qu’elle constitue « un délit prévu par nos lois pénales » ; il incrimine particulièrement ce passage :

« … Ceux qui prétendent que Dieu a créé l’homme afin