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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

doute refusé d’entreprendre ce travail, donna son assentiment : il avait tout de suite entrevu la possibilité de dédier ces vers à sa mère.

Les disparates les plus frappants éclatent dans ce poème. En son ensemble, il apparaît marqué d’une lassitude d’âme, d’une froideur invincibles : on pourrait presque dire qu’il exhale l’ennui d’une tâche. Certes, dès que le sentiment personnel qui a décidé le poète à entreprendre cet effort est en jeu, le ton du poème change, s’anime ; des vers d’une beauté, d’une précision accoutumée se martèlent. Mais entre ces oasis, des landes ternes s’étalent : on dirait le développement, par un élève studieux, adroit, respectueux de sa virtuosité, d’une matière de vers latins qui ne doit être ni atténuée ni accrue.

Entier comme toujours dans chacune de ces décisions, Leconte de Lisle ne marchande pas avec son devoir. Il accepte ici le Dogme tel qu’il est, et s’applique à le mettre en lumière. Le Christ dont il parle est le fils de Dieu, une des faces de la Personnalité Divine, la Divinité Unique. Lorsque, dans le jardin de Gethsémani, Jésus pousse dans la nuit le cri du suprême abandon, le poète écrit :


« … C’était un sanglot de l’angoisse infinie,
C’était Dieu, qui suait sa sueur d’agonie !…[1] »


Mais la clairvoyance avec laquelle Leconte de Lisle distingue le Dieu du dogme ne le rattache pas à son cœur. Quand une chaleur de tendresse lui monte de l’âme aux lèvres, c’est, qu’à cette minute, il n’aperçoit plus le Christ du côté de la Révélation et du Ciel, mais du côté de la Douleur et de la Terre. C’est lorsque le fils de l’homme incompris, dédaigné, insulté, frappé, succombe, haletant dans le sang du sacrifice, que le poète se passionne pour lui. Il le nomme alors : La Grande Victime ; le Juste, en proie à l’angoisse

  1. « La Passion ». Derniers Poèmes.