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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

encore heureuse, l’épreuve atroce de l’amour, par laquelle lui-même, il avait passé :


« Crains le bleu papillon, l’amant des fleurs vermeilles,
Qui boit toute leur âme et s’en retourne aux cieux.[1] »


Ce « désir » dont il a toujours parlé avec la violence d’un père de l’Église, et qu’il s’est fait une gloire de fouler du talon, il le voit là, rampant vers la vierge endormie. Alors, éperdu, à la pensée que, dans le doux sommeil où elle sourit, la jeune fille pourrait bien poursuivre un songe d’amour, dont lui-même il se sent absent, il crie, comme si c’était son devoir de la rappeler à elle-même, de l’arracher au péril :


« Éveille, éveille-toi ! l’ardent éclat des cieux
Flétrirait moins ta joue aux nuances vermeilles
Que le désir, ton cœur chaste et silencieux
Sous l’épais sycomore, vierge, où tu sommeilles.[2] »


Le mariage de la jeune fille, ne dura qu’un jour. Elle atteignait à peine sa vingtième année, lorsque, en moins d’un an, la mort de son mari et d’un enfant nouveau-né, la firent veuve et libre.

Après cette double tragédie elle apparaît au poète, sous ses longs voiles, embellie encore de la langueur des larmes, et de cette poésie des deuils de la jeunesse, que Sully Prudhomme a si délicieusement célébrés :


« C’est en noir surtout que je l’aime
Le noir sied à son front poli
Et par ce front, le chagrin même
Est embelli… »


La jeune femme était intelligente, sans culture pédante.

  1. « Sous l’épais Sycomore ». Poèmes Tragiques.
  2. Ibid.