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LA GRÈCE

fécondé ; son œuvre, admirable en elle-même, a ouvert une voie désastreuse. Que reste-t-il donc des siècles écoulés depuis la Grèce ? Quelques individualités puissantes, quelques grandes œuvres sans lien et sans unité[1]. »

L’helléniste enthousiaste qu’est Leconte de Lisle insiste sur sa passion pour « l’ordre, la clarté et l’harmonie, ces trois qualités incomparables du génie grec. » Pour propager cette passion de la beauté dont il se sent possédé, il s’attachera à écrire cette suite de traductions commencée en 1860, par la publication des Idylles de Théocrite et Odes anacréontiques, suivie d’une traduction de l’Iliade ; de l’œuvre d’Hésiode ; des Hymnes Orphiques ; de l’Odyssée ; des théâtres de Sophocle, et d’Euripide[2].

« Mes traductions du Grec, aimait-il à dire en souriant, m’ont porté bonheur ; si Marc Ducloux se décida à éditer dès 1852, mon premier volume de vers, Poèmes et Poésies, ce fut tout simplement parce qu’il avait égaré le manuscrit de ma première traduction de l’Iliade que je lui avais confié… »

La conception que se formait alors le grand public, de la façon dont les chefs-d’œuvre antiques devaient être accommodés à la « française » pour se conformer à la tradition léguée par la critique du « Grand Siècle » apparaissait à Leconte de Lisle, comme une monstruosité. Lorsqu’il en parlait, son indignation éclatait en paroles d’ironie :

  1. Poèmes et Poésies, Dentu, éditeur, 1852. Il ajoute : « L’antiquité, libre de penser et de se passionner a réalisé et possédé l’idéal que le monde chrétien, soumis à une loi religieuse qui le réduisait à la rêverie n’a fait que pressentir vaguement. C’est donc dans ses créations qu’il faut constater la puissance de la pensée grecque. Or, les deux Épopées ioniennes, le Prométhée, l’Œdipe, l’Antigone, la Phèdre, contiennent à mon sens ce qui sera éternellement donné à l’esprit humain de sentir et de rendre... Les figures idéales, typiques, que le génie hellénique a conçues ne seront jamais surpassées ni oubliées. Depuis il n’y a rien eu d’égal… » Préface des Poèmes Antiques, 1855.
  2. Idylles de Théocrite et Odes anacréontiques. Poulet Malassis et de Broise, éditeurs. Paris, 1861. L’Iliade, 1867 ; Hésiode, 1867; Hymnes Orphiques, 1869 ; Odyssée, 1870 ; Sophocle et Euripide, 1877.