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Elle avait d’ailleurs, depuis cinq mois, connu une misère croissante. Toute idée morale l’avait abandonnée. Il lui avait fallu, à mainte reprise, comme à la Tour de Nesle, comme chez Khoku, subir, pour emporter le prix de son labeur, des jeux irritants et qui jamais ne lui avaient fait le moindre plaisir. Eh bien ! au lieu de craindre ces choses, elle en ferait métier.

Elle décida cela un matin. La veille avait été un jour exécrable. On était en automne, une mélancolie pesait sur Paris et des cohortes d’étrangers arrêtaient toutes les femmes dans les rues, pour leur proposer généralement des pratiques contre nature. Louise avait toujours refusé, mais la faim décide à bien des actes, et elle avait faim. Retourner à Bescé était devenu impossible : autant réveiller un mort. Elle ne reverrait le château de Bescé que si la richesse lui revenait un jour.

Hélas ! quel moyen de supposer que fortune et puissance pussent jamais venir à cette jeune fille triste et malheureuse ? Depuis des jours elle mangeait mal, dormait mal, et la résistance aux passions dont le feu l’entourait sans cesse avait fini par l’épuiser. Un matin la décision fut prise : Je vais me vendre.

Louise habitait alors un hôtel borgne, avenue de Clichy. Elle avait vendu presque tous les objets acquis jadis, lorsqu’elle croyait ses dix mille francs inépuisables. Mais il lui restait une valise de cuir qui la faisait encore respecter, et deux toilettes élégantes, avec les éléments d’une tenue propre à tenter les hommes. Elle s’habilla donc au mieux et sortit. Depuis cinq jours elle n’avait fait que trois repas. Depuis dix jours, elle n’avait pas trouvé même une heure de travail, pour le plus minime salaire.

La jeune affamée descendit l’avenue de Clichy, puis s’engagea sur le boulevard des Batignolles. Elle pensait gagner la rue de Rome ou même le boulevard Malesherbes, et redescendre par ces voies vers le centre. Son regard s’appuyait sur les mâles avec insolence, mais cette grande jeune fille maigre, aux