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Bref, au bout d’un mois, il lui restait trois mille francs. Ce n’était pas encore la misère, mais il fallait commencer à réduire les dépenses. Un autre mois se passa. Malgré son désir de restrictions, Louise de Bescé, qui ignorait le maniement de l’argent et les pièges du négoce de Paris, se découvrit réduite à sept cents francs. Elle lisait les journaux et pensait bien, quoiqu’ils n’en parlassent pas, que des policiers privés fussent sur sa trace. Mais il lui semblait impossible de découvrir quelqu’un, sans indices certains, dans cette ville où des millions d’existences se croisent sans répit.

En errant au hasard, Louise s’était liée peu ou prou avec des adolescentes de son âge, rencontrées dans le métro, en autobus, ou au restaurant. Bien des hommes aussi avaient suivi cette grande jeune fille à la démarche harmonieuse, mais qui ne voulait écouter aucune proposition, même enveloppée, car les mâles lui inspiraient une insurmontable horreur. Une connaissance faite par hasard dans un bar, et qu’elle interrogea sur le moyen de gagner sa vie, lui dit que précisément les nouveaux magasins de la Tour de Nesle cherchaient des employées, vendeuses et comptables.

Louise se rendit à la Tour de Nesle. C’était, avenue des Champs-Élysées, un immense pâté d’immeubles où s’installait un magasin à l’américaine. Louise, qui parlait anglais, fut acceptée immédiatement. Un gros homme glabre, à pied bot, après cinq minutes d’interrogatoire, la délégua à un autre, très haut et squelettique, qui la repassa à un Oriental astucieux et sucré, qui lui-même l’expédia à un Anglais osseux et glacial. Celui-ci la mit devant une machine à écrire et commença, sans attendre, à lui dicter une lettre.

— Je ne sais pas la machine, dit Louise.

— Oh ! dit l’autre, qu’est-ce que vous venez faire ici ?

— Je me suis présentée et l’on m’a prise, sans doute, pour un autre travail.