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va !… Peut-on tenir dans la société une place quasi souveraine, et comme le cadavre l’est par le ver, se savoir rongé pourtant par un souvenir à demi effacé : un profil de femme, une silhouette que, sans doute, si on la revoyait, on ne saurait reconnaître, et dont la hantise vous tient nuit et jour ? Le fait était là.

Une sorte d’ironie énorme faisait de ce potentat de la médecine la victime du mal le plus sot et le plus ridicule du monde : l’amour…

Le docteur de Laize aimait. Il ne pouvait plus commander à sa pensée de quitter tel sujet et de s’arrêter à tel autre. Il devenait incapable de donner à ses raisonnements d’homme hanté d’une puissante vie intellectuelle la direction voulue et nécessaire à sa quiétude.

Son cerveau lui échappait, qu’il connaissait pourtant comme s’il l’eût tenu là, devant lui, pour en faire des coupes microscopiques.

À travers toutes les idées et toutes les images que le travail mental menait à sa conscience, un fantôme de tableau flottait sans cesse : une perspective de parc avec des arbres géants, une balustrade au lointain, et au premier plan une forme féminine, deux grands yeux, un visage ovale couronné d’une sorte d’auréole, d’un blond tirant sur le roux, et cette démarche indolente et lascive à la fois, ces jambes à demi dénudées par la robe de tennis, cette taille frêle et souple, et ce bombement délicat des seins, ce ventre sur lequel ses lèvres avaient posé…

Le docteur de Laize ferma les poings. Il sentait naître la crise, que nul médicament ne pouvait plus dominer. Il s’arrêta devant la tapisserie aux tons passés. Il ne la voyait pas. Une rage sourde levait en lui comme une légion de démons. Il venait d’évoquer dans son décor familial la douce et chaste Louise de Bescé. Maintenant un autre film commençait à se dérouler en lui. L’immonde série d’images suivait un cours inflexible et le torturait atrocement. Il ne sut y échapper et vit Louise de Bescé,