Lorsqu’il eut terminé : Ernest, dit-il, ce que je veux de toi, c’est le conseil d’un ami, je veux savoir de toi ce que tu ferais si tu te trouvais dans le cas où je suis moi-même. Il est probable que la résolution que je prendrai dépendra de l’avis que je te demande en ce moment.
Ernest ne répondit pas tout de suite.
— Mon cher Louis, dit-il enfin, et sa voix n’avait rien de sa légèreté habituelle, tu me demandes un conseil très sérieux ; je vais tout de même t’exprimer ma pensée aussi sincèrement que possible. Je ne prétends pas que mon avis soit le meilleur, mais c’est celui que je suivrais dans une position semblable. Tu aimes Hortense et elle te rend amour pour amour. Ta conscience ne t’ordonne pas une vengeance implacable et tu ne peux, sans rompre avec tous les sentiments de la nature, punir cette jeune fille d’un crime qu’à commis son père, il y a plus de vingt ans, alors qu’elle n’était pas de ce monde. Comment aurais-tu le courage de jeter dans un morne désespoir deux enfants innocentes qui, comme je le répète, n’étaient pas encore nées quand leur père, pour satisfaire des penchants luxurieux, se rendait coupable d’un meurtre aussi atroce ? Ce ne serait pas juste et Dieu lui-même désapprouverait ta conduite. Je conçois que ton cœur s’émeuve et qu’il crie vengeance au souvenir navrant des événements qui ont frappé tes malheureux parents, mais sois certain qu’eux-mêmes n’exigent pas que tu sacrifies à une vengeance, légitime, sans doute, mais inutile, ton bonheur tout entier et celui de deux êtres innocents ! Ce sang figé sous terre depuis plus de vingt ans ne réclame pas un pareil sacrifice de ta part