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d’escouade en escouade. Il paraît que les pionniers vont venir cette nuit, pour préparer les escaliers d’attaque… On doit installer des canons de 37 et des lance-bombes… La première compagnie va faire une grosse patrouille.

Tout cela commence à m’ébranler, et pourtant, partageant mon fromage avec Gilbert, j’essaie de le convaincre que nous n’attaquerons pas. Sulphart beugle, la bouche encore pleine. Il ne pense plus à l’attaque, mais seulement aux injustices qui l’entourent. Tout en nettoyant son assiette avec une poignée d’herbe, il flétrit l’infamie du Grand Quartier Général qui favorise indignement « les gonziers du troisième bataillon qu’en foutent jamais une ramée », et ne donnent même pas aux combattants l’eau-de-vie à laquelle ils ont droit. Il pousse ses cris sous le nez de Bréval, seul gradé à présent, pourtant innocent de ce déni de justice et, pour le faire taire, il faut que le sergent Berthier se dérange.

On se répand dans la tranchée, comme le village dans sa rue, après la soupe du soir. On parle, on discute, on s’énerve. Quelqu’un m’appelle :

— Jacques !

C’est Bourland, l’un des cyclistes du colonel.

— Eh bien ?

— C’est vrai ; on attaque… Je suis allé toucher deux mille cigares au ravitaillement.

J’ai dressé brusquement la tête. Quoi !… des cigares, des cigares à bague ? Cette fois, je suis convaincu, nous attaquons sûrement.

Hamel, dont l’esprit est cependant fermé aux déductions subtiles, ne s’y est pas trompé non plus.