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Bagneux. Après les mitrailleurs et leurs mulets crottés, entrevus dans un brouillard de fatigue et de pluie, passèrent les caissons cahotants du train de combat, la voiture à viande, l’ambulance aux roues ferrées, et, à la queue du régiment, les voitures de compagnie, cavalcade burlesque de limonières, de pataches et de tapeculs ramassés au hasard des marches et des contremarches, de Charleroi à Reims, antiques guimbardes aux essieux grinçants, tapissières débordant de sacs et de fusils, carrioles vêtues de bâches ruisselantes, breaks de famille et camions de brasseurs, puis, fermant la colonne, le phaéton du vaguemestre, tiré par un percheron de labour que les brancards habillaient trop juste.

Les hommes ne regardaient rien, exténués, dormant à moitié. Les roues les frôlaient et ils ne retiraient même pas leurs pieds. Ils s’étaient laissés tomber où ils étaient, sans regarder, la boue ne pouvant plus les salir, et, accroupis contre le mur pour s’abriter sous le rebord des toits, ils se réchauffaient l’un l’autre comme des bêtes, ne trouvant plus le courage de grogner. Quelques-uns, restés debout, les bras croisés sur le fusil, parlaient de paille fraîche, de vin pas cher, de repos sans exercice, tout un chimérique bonheur, et les camarades assis sur leurs sacs écoutaient sans répondre, trop hébétés pour rien désirer d’autre que le droit de dormir.

Par moments, un officier passait et, d’un coup subit de sa lampe électrique, éclairait crûment les corps effondrés.

— Les agents de liaison… Où est la liaison ? C’est insensé !