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IV
LA BONNE VIE


Nous faisions le gros dos sous la pluie. Ce village boueux et noir ne nous attendait pas, et tassés par paquets mouillés le long des maisons endormies, nous guettions le retour des fourriers qui nous cherchaient des cantonnements. Le nôtre, le grand Lambert, venait d’entrer dans cette ferme dont la fenêtre aux rideaux rouges ensanglantait la nuit d’une lueur d’assommoir et, de la rue, nous reconnaissions, sans distinguer les mots, sa voix cordiale qui cherchait à convaincre l’habitant. Le fermier, quelque paysan buté, répondait en braillant :

— Non, non, j’en coucherai point dans le cellier, que j’vous dis. Ils m’boiraient la feuillette qu’il me reste.

La compagnie qui descendait des tranchées s’était abattue au coup de sifflet, harassée, boueuse, trempée. Devant nous, d’autres défilaient encore, avec un piétinement pressé d’enterrement attardé trottinant vers