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Découragé, il montait se coucher. Il avait planté une baïonnette dans le plancher, à la tête de son lit » et cela lui servait de bougeoir, comme au front. Il sortait d’un placard des illustrés poussiéreux, de vieux journaux, et les lisait pour s’endormir. C’est ainsi qu’il tomba sur l’article oublié d’un académicien :

« Nous avons contracté envers nos poilus une dette de reconnaissance que nous n’oublierons jamais, disait l’écrivain. Nous sommes débiteurs de toutes les souffrances que nous n’avons pas subies… »

Sulphart découpa l’article et le rangea dans son calepin.



Il arriva à Paris avec seulement sept francs en poche, mais, le matin même, il était embauché pour le lendemain dans une maison de Levallois. Pour la première fois depuis qu’il avait repris le veston de civil, il se sentit heureux. Quinze francs par jour ! Il supputait tout ce qu’il allait avoir de bien-être, d’aise, de bonheur, pour ses quinze francs.

C’était son tour maintenant de « se la couler douce ». Il allait se faire de bons copains – des gars qui seraient allés au front comme lui – il dénicherait un petit bistro convenable pour manger à midi, il trouverait une chambre pas trop loin, pour pouvoir se lever tard. Déjà, en traversant les ateliers, il avait remarqué des ouvrières, une, surtout, qui riait en relevant ses cheveux d’une main noircie par la potée. Cela le faisait sourire de penser à elle.

— C’est du sérieux, ces poules-là… Ça sait tenir une maison.