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Sulphart était encore devant lui, lançant sa chanson à tue-tête. Le petit Broucke dansait derrière, car il n’était plus mort…

Voilà l’beau temps
Ture-lure-lure,
Voilà l’beau temps,
Pourvu que ça dure,
Voilà l’beau temps pour les amants.

La pluie, maintenant, tombait plus serrée, en rafales froides, faisant un bruit plus sourd sur les capotes des morts… Le long de ses joues, elle glissait en frissons glacés qui éteignaient sa fièvre… Sans comprendre, en délirant, il chantait toujours, la voix entrecoupée :

J’rencontre un grand prunier
Qu’était couvert de prunes.
Je jette mon bâton d’dans, j’en fais tomber quelqu’-z-unes.
Voilà l’beau temps…

La nuit semblait se mettre en marche, sur ses mille pattes d’eau qui piétinaient. Contre l’arbre humide qui le soutenait, un cadavre accroupi glissa et tomba lourdement, sans sortir de son rêve. Gilbert ne chantait plus. Son souffle épuisé mourait dans un murmure que recouvrait la pluie. Mais ses lèvres semblaient bouger encore :