Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/317

Cette page a été validée par deux contributeurs.

souffrir, il restait inerte, les yeux scellés, enfonçant ses doigts crochus dans la terre glacée.

La souffrance, lentement, se fit moins cruelle et une pensée s’éveilla dans sa tête bourdonnante.

— Il ne faut plus rester sans bouger… Si je m’évanouis, on ne me verra pas, on me laissera mourir. Il faut que je me redresse, il faut que j’appelle.

Alors avec une volonté tenace, il décida « Je vais m’adosser à un arbre et me panser… Puis, quand des soldats passeront, je crierai… Il le faut… C’est ma peau… »

Il n’avait pas encore osé toucher sa blessure, cela lui faisait peur, et sa main s’écartait même de son ventre, pour ne pas sentir, ne pas savoir.

— L’hémorragie doit être arrêtée, pensait-il, ça ne coule plus. Je vais faire mon pansement.

Les dents serrées sur les cris qui lui montaient de la gorge, il se redressa péniblement, se traîna, puis se laissa tomber, le dos contre un arbre. Sa blessure réveillée lui battait aux reins, d’un pouls de fièvre. Il s’accorda un instant de répit, les yeux fermés : il lui semblait qu’il venait de se sauver un peu.

Il prit son paquet de pansement dans sa cartouchière et déchira l’enveloppe. Maintenant, il fallait atteindre sa blessure, la toucher. Ses mains plusieurs fois glissèrent vers son ventre, mais elles hésitaient, n’osaient pas. Enfin, il se dompta, et, la bande prête, résolument il toucha la plaie. C’était au-dessus de l’aine gauche. Sa capote était déchirée et, sous ses doigts craintifs, il ne sentait rien qu’une chose gluante. Lentement, pour ne pas souffrir, il déboucha son ceinturon, ouvrit sa capote et son pantalon, puis il essaya de soulever