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— T’as du trèfle ? ma blague est vide.

— T’auras pas le temps d’en rouler une.

— Avec ça, ils bombardent pour une heure.

— Il faudrait que ça tombe juste en plein dessus.

— Et encore. J’ai vu une fois, moi, à Vauquois…

On n’entendait qu’un grondement sourd, et, parfois, un fracas plus proche, qui résonnait jusque dans l’abri. Maroux se précipitait, grimpait quelques marches et appelait :

— Broucke !

La voix assourdie répondait :

— Ça vo, ça vo…

Sous le bombardement infernal, on eut un instant d’hébétude. On restait affalé, les mains entre les genoux, la tête vide. Dans une boîte à singe, qu’on se passait de main en main, on se soulageait. Puis, nerveusement on se remit à parler, vite, plus vite. On lançait des blagues, la bouche sèche : « Son réveil est en avance… Qu’est-ce qu’il a reçu de chez Krupp, comme colis !… Ce que tu crois qu’on aura la guerre ?… Si j’avais su, je serais allé coucher à l’hôtel… »

Mais le bélier terrible parut se rapprocher encore, dans une rage de tonnerre, et les bavards se turent. Je croyais, contre mon épaule, sentir battre le cœur de Gilbert. Bouffioux s’était enroulé dans sa couverture, se cachant la tête pour ne plus rien voir. Le dos résigné, on attendait.

Un grand coup éclata, broiement de ferraille, et le vent s’engouffrant souffla notre bougie. Avec l’ombre, l’angoisse nous étreignit. Maroux, d’abord étourdi, grimpa vite.