Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/296

Cette page a été validée par deux contributeurs.

trois semaines au dépôt divisionnaire, et me v’là…

— Dommage qu’on ne t’ait pas reversé avec nous, regretta Maroux.

— Avec mon copain Morache ?… Tu connais de bonnes blagues, toi. Je t’emmènerai à Saint-Cloud le dimanche, tu porteras le panier.

La pluie avait cessé. Assis sur la première marche, les yeux dans la nuit épaisse, aux nuages si bas que les fusées, en éclatant, éclairaient leur masse boueuse, Gilbert écoutait la plainte atroce du blessé. Le cœur serré, il ne pensait plus qu’à cela, devinant l’instant où le moribond allait appeler, comptant les secondes…

— Venez me chercher, les copains… Sergent Brunet, de la septième…

Puis la voix épuisée retombait dans le noir.

— S’ils ne vont pas le chercher, j’y vais, songeait Gilbert bouleversé. Tant pis si je me fais descendre.

Vidant le fond de la gamelle — Y a du rabiot, les gars ! – Vieublé parlait toujours.

— Dans le fond, ici, on a la bonne place… À l’arrière on les tracasse, on ne parle que de les relever, les toubibs les font foutre à poil tous les quinze jours, les femmes les charrient. Tandis qu’au front, on n’a pas ça à craindre… T’as jamais vu une commission venir faire une inspection en première ligne pour relever les sagouins qui ne seraient pas à leur place. Y a pas à dire, t’es paré, on te fout la paix… On a le bon filon, il n’y a qu’à ne pas jouer au c… pour le conserver.

Une grenade à fusil vint éclater devant le parapet. Après la détonation, dans le silence plus profond, on entendit un sanglot accablé.