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leur troisième ligne… Attention au signal sur la droite…

Il avait un nouveau visage, rouge, suant, sa bouche fendue d’un grand rire muet. Tout courant, il répétait :

— Au signal sur la droite… La droite…

Un fracas et je n’entendis plus rien… Ce fut comme un coup de masse qui nous culbuta tous, un choc qui vous assomme, un souffle qui vous renverse… Et l’épais nuage, la nuit… Dix idées : nous sommes tués, je suis aveugle, nous sommes ensevelis. Puis des cris !

— À moi ! vite…

Dans la fumée, des blessés se sauvaient. Fouillard était couché devant moi, la tête dans une flaque rouge, et son dos s’agitait convulsivement comme s’il avait sangloté. C’était son sang qu’il pleurait.

Un souffle encore piqua sur nous… Je m’étais, ramassé, la tête dans les genoux, le corps en boule, les dents serrées. Le visage contracté, les yeux plissés à être mi-clos, j’attendais… Les obus se suivaient, précipités, mais on ne les entendait pas : c’était trop près, c’était trop fort. À chaque coup, le cœur décroché fait un bond ; la tête, les entrailles tout saute. On se voudrait petit, plus petit encore, chaque partie de soi-même effraie, les membres se rétractent, la tête bourdonnante et vide veut s’enfoncer, on a peur, enfin, atrocement peur… Sous cette mort tonnante, on n’est plus qu’un tas qui tremble, une oreille qui guette, un cœur qui craint…

Entre chaque salve, dix secondes s’écoulaient, dix secondes à vivre, dix secondes immenses où tient tout le bonheur, et je regardais Fouillard, qui maintenant