Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Plus près, Cruchet commanda :

— Baïonnette au canon… Les grenadiers en tête.

Un frisson d’acier courut tout le long de la tranchée. Penché, Gilbert observait toujours ses insectes, n’écoutant pas battre son cœur. Le scarabée secouait sa lourde carapace, mais l’autre l’avait saisi entre ses longues antennes, et il le maintenait, ne le lâchait plus.

Posément, Cruchet serrait sa jugulaire. Debout sur la première marche d’un escalier de sacs à terre, il nous dominait tous. Il nous regarda.

— Mes amis… Ttt… Ttt… C’est pour la France, hein !… Une belle attaque… Nous allons enlever ça…

Était-ce l’émotion, il me sembla que sa voix était moins sèche, moins coupante qu’à l’ordinaire. Comme une brusque révélation, on comprenait ce mot : un chef. On serrait le ceinturon, on repoussait l’outil qui battait la cuisse. Au pied d’une échelle, Berthier était prêt à sortir. En tournant la tête, il vit Morache, le visage décomposé.

— Après vous, mon lieutenant, fit-il militairement, en s’écartant d’un pas.

L’autre, défait, vit un prétexte.

— Quoi, bredouilla-t-il… Vous avez peur de sortir le premier ?…

Sans rien dire, le sous-lieutenant se retourna et remit le pied sur l’échelon. De dos, on vit simplement son haussement d’épaules.

— Morache qui se dégonfle ! cria Vieublé dans le bruit.

Le lieutenant avait peut-être entendu, mais il ne broncha pas. Montant de ce tas d’hommes hérissé de baïonnettes, la voix gouapeuse continuait :