Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/186

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La colonne, un instant, piétina sur place : « Appuyez à gauche ! » criait-on devant nous. On repartit en file disloquée. Des choses noires barraient la route : deux chevaux aux longues pattes raides, une voiture culbutée et des cadavres, dont on devinait la forme douloureuse sous la toile de tente. Une odeur fade et chaude montait de cet amas. Hâtivement, des territoriaux comblaient le large trou qu’avait creusé l’obus.

Un des anciens ne travaillait pas. Debout sur une borne, il dominait notre marée montante et, se penchant, cherchant à voir, il criait :

— Bailleul Émile, de la cinquième compagnie… C’est pas la cinquième compagnie qui passe ? Émile ! Émile !… Vous ne connaissez pas Bailleul ? c’est mon fils. Hé ! Émile !

La colonne fourbue défilait devant lui, obscure, impénétrable. Personne ne répondait. Des têtes, en passant, se tournaient et regardaient le vieux. Derrière nous, sa voix appelait encore :

— Émile… Vous ne connaissez pas le petit Bailleul, de la cinquième ?

Parbleu, oui, nous l’avions connu… Pauvre gosse !



De l’église, on n’a gardé que ce coin d’autel : la chapelle de la Vierge, et six rangs de prie-Dieu. Tout le reste a été transformé en ambulance et, de l’autre côté d’une cloison en planches, qui nous sépare de la nef, on entend les blessés gémir.