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qu’écoutait tout un régiment horrifié, on a compris des mots, une supplication d’agonie : « Demandez pardon pour moi… Demandez pardon au colonel… »

Il s’est jeté par terre, pour mourir moins vite, et on l’a traîné au poteau par les bras, inerte, hurlant. Jusqu’au bout il a crié. On entendait : « Mes petits enfants… Mon colonel… » Son sanglot déchirait ce silence d’épouvante et les soldats tremblants n’avaient plus qu’une idée : « Oh ! vite… vite… que ça finisse. Qu’on tire, qu’on ne l’entende plus !… »

Le craquement tragique d’une salve. Un autre coup de feu, tout seul : le coup de grâce. C’était fini…

Il a fallu défiler devant son cadavre, après. La musique s’était mise à jouer Mourir pour la Patrie, et les compagnies déboîtaient l’une après l’autre, le pas mou. Berthier serrait les dents, pour qu’on ne voie pas sa mâchoire trembler. Quand il a commandé : « En avant ! » Vieublé, qui pleurait, à grands coups de poitrine, comme un gosse, a quitté les rangs en jetant son fusil, puis il est tombé, pris d’une crise de nerfs.

En passant devant le poteau, on détournait la tête. Nous n’osions pas même nous regarder l’un l’autre, blafards, les yeux creux, comme si nous venions de faire un mauvais coup.

Voilà la porcherie où il a passé sa dernière nuit, si basse qu’il ne pouvait s’y tenir qu’à genoux. Il a dû entendre, sur la route, le pas cadencé des compagnies descendant à la prise d’armes. Aura-t-il compris ?

C’est dans la salle de bal du Café de la Poste qu’on l’a jugé hier soir. Il y avait encore les branches de