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respire à coups haletants, les épaules secouées. Il a mauvaise mine, ce soir. Ses joues se devinent grises et creuses, sous sa barbe de huit jours. Je le trouve plus abattu encore qu’à notre dernier tour de repos. Toujours acagnardé sur sa chaise basse, il poursuit son mauvais songe.

Et dans le jour mourant qui frotte d’un éclat glacé le dos ciré des chaises, il me semble que je vais voir, penchées sur lui, toutes les ombres de nos morts, pour qui l’horloge égrène son rosaire.



On enterre Monpoix. Il est mort l’autre nuit, sans une plainte, sans agonie. Au jour, sa femme l’a trouvé froid dans le lit.

Sa bière portée à bras vient de partir à travers champs, deux robes noires derrière, quelques paysans et des soldats. Pouvant à peine marcher, je suis resté seul à la ferme. Je la sens autour de moi vaste et triste.

On n’entend plus rien, que le sautillement des pigeons dans le grenier. C’est inquiétant, ce grand silence qui sent la mort. Les deux escabeaux rapprochés semblent encore attendre son cercueil. Il est bien revenu une fois, déjà…

Sur le moment, cet incident en somme banal ne m’a pas frappé, mais, maintenant, resté seul, un malaise indéfini me gagne. Je ne devrais plus y penser.

Comme l’enterrement, ayant traversé l’herbage, atteignait le chemin, les Allemands nous ont aperçus et se sont mis à tirer. Le premier obus est tombé court, l’autre à cinquante pas, et le cortège aussitôt,