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branle d’une porte de gourbi, et, injurié par eux, il n’ose plus se montrer dans le cantonnement.

Depuis, il va faire son tour du côté des batteries. Il siffle Féroce, son grand chien, et on les voit de très loin aller et venir, le maître noir et le chien blanc, jusqu’à la crête : il ne va jamais plus loin. Si les Allemands se mettent à tirer, il ne se presse pas de rentrer : il n’a pas peur.

Parfois, au milieu de la journée, si une lubie lui vient, il monte se coucher, sans rien dire à personne. On l’entend qui marche dans le grenier, qui déplace des caisses, ouvre et ferme les lucarnes. Cela fait rire sa femme.

— Qu’est-ce qu’il peut faire ? Il ne peut pas tenir en place, ce maudit-là…

Je ne sais pourquoi, je me sens gêné pendant ces absences que rien n’explique.

Ce que nous donnons aux Monpoix pour la popote les aide à vivre, car ils n’ont pas d’argent. Ils vendent du lait, des œufs, un peu de volaille. Mais jusqu’à présent, ils n’ont pas voulu vendre de pigeons, même au colonel.

— C’est que ça ne se prend pas comme ça, pas vrai, gamins, nous dit Monpoix. Allez donc les attraper, ces bestioles-là ! On ne veut pas non plus y monter la nuit : les Prussiens verraient la lumière. Et puis on s’habitue à ses bêtes, aussi.

Dès qu’il fait beau, la ronde infatigable des pigeons fait au moulin une couronne blanche, d’où quelques fleurs s’envolent. Un jour, de la tranchée, on en a tiré un qui volait très bas au-dessus des lignes. A-t-il eu peur ? Il s’est sauvé du côté des Boches.