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avec la machine à refouler les croquants. Tu la connais seulement pas, c’te machine, bellure. C’est juste en face de la gare : quand un péquand débarque, v’lan ! Y a un grand coup de piston, et le mec est refoutu dans son train. Ça t’en bouche un coin, Saturnin…

Sa voix de faubourg, aux mots qui traînent, me rappelle étrangement celle de Vairon. Je crois encore l’entendre rouspéter, le matin de l’attaque, parce qu’on lui donnait à porter une grande planche qu’il devait jeter au-dessus de la tranchée allemande pour servir de passerelle. Pauvre gars ! Broucke nous a dit qu’il était repassé près de lui, en se repliant, et qu’il remuait encore. À présent, depuis quatre jours, c’est sûrement fini. Et pourtant…

— Allons, sois pas méchant, Ferdinand, fait Vieublé la main tendue. Lâche tes trente bourgues, et ne pleure pas : tu la reverras, ton étable.

À la table qui prolonge la nôtre, des soldats de la compagnie causent du moulin et des Monpoix, les fermiers, en nous regardant de côté, comme s’ils parlaient pour nous. Tout leur paraît suspect dans la bicoque : les pigeons qui volent à heure fixe, la fumée, le chien blanc qui gambade dans le pré, en vue des Allemands et surtout le vieux qui, chaque soir, sort tout seul pour fumer sa pipe.

— Plus de dix fois, je te dis, il a fait marcher son briquet.

— Mais il y en a qui s’en foutent, tu comprends, pourvu qu’ils se tapent bien la cloche, insinue un petit maigrichon au nez retroussé.

Sulphart, qui sert d’arbitre dans le conflit des mitrailleurs, n’est pas là pour leur répondre et Dema-