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Un gros caporal essaye vainement de fléchir Mlle Lucie, méprisante et revêche.

— Deux petits verres seulement, mam’zelle, on boira vite. N’importe quoi, pourvu que ça soit du solide, du « tiens-toi bien ».

— Fichez-moi la paix, on ne vend que du vin ici, c’est pas pour les soûlots.

Les coudes sur la table ou à cheval sur des tabourets, les buveurs discutent, dans un tumulte de voix, de godillots traînés, de cris, de verres qu’on choque.

— Paraît que le …e qui nous a relevés à Berry s’est fait poirer une tranchée.

— Ça ne m’étonne pas de ces enfoirés-là.

— Des bons à lappe qu’ont même pas été foutus de creuser de bons gourbis… C’est pas de la blague, y a que nous qui grattent.

Une dispute éclate soudain entre Vieublé et des mitrailleurs qui veulent lui carotter un litre. Un petit rougeaud aux yeux sans cils défend ses sous et sa réputation d’une voix pâteuse :

— Faut pas crâner, tu sais. C’est pas parce qu’on n’est pas des Parisiens qu’on est des voleurs. On l’est peut-être pas plus que toi. Et j’y ai été avant toi, à Paname, moi qui te cause.

— Tais-toi, réplique Vieublé sans se fâcher. T’as jamais eu l’honneur d’y traîner tes grolles, à Paname, bouseux. Je la connais, ta capitale : y a que des cochons sur le boulevard.

— Quoi qu’il dit ce feignant-là !

— Il dit que t’as jamais débarqué à Paris, plein vase, même avec ton biau costume des dimanches et le canard dans le panier. D’abord, t’aurais pas pu,