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Comme l’homme est dur, malgré ses cris de pitié, comme la douleur des autres lui semble légère, quand la sienne n’y est pas mêlée ! Je regarde les choses d’un œil distrait. Le tas de fumier, humide et luisant, est appuyé au mur, si bien que de la salle, on voit le petit coq noir à hauteur de la fenêtre, dans une légère vapeur bleue. Sur les pierres grises de l’étable, des balles perdues ont laissé comme des cicatrices blanches. Au milieu du courtil, le puits à la margelle usée, et ses trois murs verdis… Comment, cela n’est pas fini, là-bas ? On dirait que le canon reprend. Qui nous a relevés ? Le 148. Pauvres gars !…

L’eau du ru passe en cascadant, devant la ferme. Elle traverse la mare sans y tracer son passage et s’échappe en sautant de pierre en pierre, jusqu’à la roue pourrie du moulin, sur laquelle un gros chat feint de dormir.

Les volées froufroutantes de pigeons vont et viennent, caressant les murs de leurs ombres rapides ; les oies promènent leur troupe grave, marchant, criant et se taisant ensemble. Deux petits veaux, l’un taché de noir, l’autre de roux, jouent avec des grâces pataudes de jeunes chiens et le grand épagneul, tout jappant, s’amuse à faire peur aux poules. Ils n’entendent rien. Seul, l’âne qui mange lentement son foin, très digne sous sa tunique de boue séchée, écoute d’une oreille. Parfois, de la paille aux dents, il s’arrête de mâcher, lève sa longue tête rêveuse et écoute le canon qui tonne.

Quel brouhaha, dimanche, dans la cour, quand on a distribué le « cric » – un quart pour deux ! – et donné les cigares, de beaux cigares à deux sous,