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— Je suis tranquille. Du train qu’ils vont, t’es pas près de leur mesurer les fesses. Hé ! bande de vaches, attendez-nous.

Mais les prisonniers restaient sourds. Ils allaient au plus court, escaladant les murs, sautant par-dessus les boyaux, enjambant les décombres, et les territoriaux, à bout de forces, hurlaient vainement derrière eux, sans pouvoir les rejoindre.

— S’ils n’arrêtent pas, fit enfin Mahieu épuisé, je leur fous un coup de flingue.

— T’es pas louf, proteste Grandjean. Et le général qui doit les interroger. Allons, mettons-en un coup, ils ont l’air de ralentir.

À chaque rafale de 88 ou de 130, les prisonniers s’écrasaient, laissant passer la volée d’éclats ; mais les territoriaux chaque fois arrivaient trop tard. Bientôt, les Allemands furent à vingt pas, puis à cinquante. Bientôt on ne vit plus que leur dos gris, de loin en loin, entre deux ruines. Puis ils augmentèrent encore leur avance et l’on ne vit plus rien… Ils avaient disparu, courant vers l’arrière.

— Ils doivent être dans la grange brûlée, fit Grandjean.

Ils y coururent. Elle était vide. Grande Gueule se fâcha :

— C’est de ta faute… Agent de liaison de mes fesses… J’m’en fous, je le dirai au colon… Viens, ils ont filé à gauche.

Et ils se lancèrent, au hasard, sur la piste de leur gibier. Autour d’eux les obus tombaient,