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— Vache de corvée, grognait Grandjean qui s’empêtrait dans une toiture. Vous faire conduire des boches sous ce marmitage-là… J’me marrerais qu’ils ne veuillent pas l’ouvrir quand on les interrogera… Ça leur apprendrait.

Et le gros Mahieu, dont la crosse battait la charge sur le bidon, répliquait d’une voix oppressée :

— Risquer pour ça la vie des bonhommes, c’est t’honteux.

Les Allemands filaient plus vite, le dos rond et la tête enfoncée, comme s’ils avaient trotté sous l’orage et ils précédèrent bientôt leurs deux gardes de plusieurs enjambées.

— Pas si vite, bon Dieu, pas si vite ! cria Mahieu. Mais ils ont donc bouffé du rat, ces salauds-là…

Les prisonniers ne semblaient pas entendre. Rendus fous par deux jours de bataille, ils allaient comme des bêtes forcées, la bouche, béante, les yeux hagards, poussés par la peur de périr sous leurs propres obus. Ils ne pensaient plus à rien, qu’à sortir de cet enfer.

— Mais regarde-les galoper, les deux cochons, haletait Mahieu dont la course devenait pesante. Hé ! les boches, pas si vite… Vous n’entendez donc pas ce qu’on vous dit ?

Grandjean, qui avait plus de souffle, nargua son camarade :

— Tu peux toujours gueuler, lui dit-il en pressant l’allure. Ils ne comprennent pas un mot.

— Eh bien, tu vas voir s’ils comprennent les coups de pied dans le cul !