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…POUR LA DURÉE DE LA GUERRE

(6 Août 1914.)

Un doux soleil lisse l’herbe courte des fortifications et miroite comme de l’eau sur les toits d’ardoise du bastion. Les talus râpés, que des plaques de terre jaune rongent ainsi que des dartres, semblent moins misérables dans cette tendre lumière du petit jour. La nuit les a lavés, le matin les repasse.

Derrière le bureau de recrutement, sous les hangars étroits, nous sommes quelques centaines entassés. On se croirait entre les barrières d’un marché de province, un jour de foire. C’est le même grouillement d’hommes, la même rumeur joyeuse de voix, de piétinements, de cris et de gros rires. On s’appelle, on se bouscule, on discute, on s’amuse, et les nouveaux venus, musette au côté, vont grossir les groupes impatients qui se nouent, cous tendus, coudes en coin, autour des soldats du bastion. Dix demandes se croisent.

— Où qu’il faut aller ?

— Hé les gars ! Pour ceux qui ont perdu leur livret ?

— Ce qu’on va tout de même nous prendre ? Ça fait trois jours qu’on nous fait revenir… Faudrait tout de même qu’ils se décident avant que la guerre soit finie.